Alliance avec les premières nations
ALLIANCE AVEC LES PREMIÈRES NATIONS : L’ESPRIT DE GÉNÉROSITÉ AUTOCHTONE PAR LE JEU DU DON ET DU CONTRE-DON
En 1610, l’établissement colonial français de Québec, toujours naissant, prenait lentement racine et les alliances franco-autochtones étaient plus solides que jamais. Les Mohawks avaient été découragés de s’aventurer dans la vallée du Saint-Laurent, une paix relative prévalait et le commerce des fourrures florissait.
Des deux côtés de l’Atlantique, Champlain travaillait activement à faire avancer son rêve d’un Nouveau Monde en Amérique. En France, il œuvrait à élargir la base de soutien envers la jeune colonie au sein d’une structure du pouvoir des plus complexes et fragmentées; composant avec une foule hétéroclite d’acteurs influents qui, souvent, avaient bien d’autres priorités.
Ceux-ci incluaient notamment : la couronne, de grands nobles, des ministres, l’église catholique et ses ordres monastiques, des parlements provinciaux et municipaux, des tribunaux, des marchands, des compagnies commerciales, des avocats et bien d’autres. Le labeur de Champlain fut rendu d’autant plus ardu à la mort de son roi Henri IV — son parrain, son protecteur et pour la colonie française, son plus puissant supporteur — assassiné le 4 mai 1610.
En Amérique, la stratégie de Champlain consistait à élargir son réseau d’alliances avec les Premières Nations de l’arrière-pays à l’ouest. En 1611 et 1613, à une époque où chaque traversée de l’Atlantique pouvait être la dernière, Champlain entreprit deux brefs voyages dans la vallée du Saint-Laurent. Au cours de ces périples, il explora la région de Montréal et remonta la rivière des Outaouais.
Dans le même élan, il profita de ces passages pour consolider ses liens avec les Wendats ainsi qu’avec des Algonquins de la rivière des Outaouais, tout en établissant des relations cordiales avec d’autres groupes algonquins dont il fit la connaissance. Lors de ces rencontres diplomatiques, aussi appelées "tabagies", Français et Autochtones festoyaient, dansaient, chantaient et parlementaient parfois durant des jours.
Ces moments étaient aussi l’occasion de s’échanger ou de récupérer les jeunes hommes confiés à l’autre camp pour apprendre sa langue et ses coutumes et ainsi, agir comme interprètes entre les groupes. Ce fut notamment le cas le 13 juin 1611 sur l’île de Montréal, quand on remit le jeune Nicolas de Vignau au chef algonquin-kichesipirini Tessoüat alors que les Wendats retournèrent Étienne Brûlé — qui avait déjà appris les langues wendate et algonquine — avant de récupérer leur fils Savignon qui venait de passer la dernière année en France.
Le troc était aussi au cœur de ces rassemblements interculturels. On échangeait alors fourrures et tabac contre couvertures, haches, couteaux, marmites, manteaux, pointes de flèches en acier, chemises et autres articles utilitaires. Lors de telles sessions, Champlain ne réalisait pas de profit direct, alors qu’il devait rivaliser de générosité avec ses interlocuteurs en leur offrant des cadeaux d’une valeur au moins équivalente à ce qu’il avait reçu d’eux.
Champlain avait compris que la conduite du commerce avec les Autochtones relevait de bien plus que de simples transactions ou d’enjeux de tarif. Pour bâtir des relations exclusives avec ses partenaires, il lui fallait organiser le rituel d’échange d’une manière qui soit culturellement compatible avec les deux économies. Pour ce faire, il s’assurait d’honorer un principe fondamental régissant les sociétés autochtones : l’esprit de générosité par le jeu du don et du contre-don.
Dans ce contexte, commercer signifiait aussi pratiquer la diplomatie et instaurer des amitiés. Selon l’historien Denys Delâge, ce fut là le secret de son succès auprès des Premières Nations du nord-est de l’Amérique du Nord.
Source : Le Nouveau Monde oublié : http://marco-wingender.ca/
Crédit d’illustration : Artiste inconnu