Le métissage des colons Canadiens
LES CHARMES DE LA FEMME AUTOCHTONE
L’intimité des peuples n’est jamais aussi forte que lorsque les cœurs et les corps s’entrelacent. En Nouvelle-France, ce métissage fut loin d’être un aspect secondaire de la rencontre interethnique.
Dans les premières décennies d’une colonie où très peu de femmes avaient pris le risque de traverser l’Atlantique, les rigueurs du climat nordique et les défis de s’alimenter et de se déplacer rendaient difficiles la survie de ces petits groupes de colons français venus tenter leur chance dans le nouveau monde. Sous la bénédiction du clergé et des autorités françaises, plusieurs facilitèrent leur implantation sur leur terre d’accueil en établissant des liens intimes avec des communautés autochtones.
Dans ce rapprochement interculturel qu’encourageaient les alliances et le commerce des fourrures, les femmes autochtones s’imposèrent naturellement comme des intermédiaires précieuses entre le Français et son nouvel environnement. Accompagné d’une Autochtone connaissant tous les secrets de la nature sauvage et maîtrisant les habiletés techniques pour bien y vivre, le colon pouvait circuler plus sûrement et aisément. Elle pouvait aussi l’initier à son mode de vie et lui ouvrir la porte de son lignage, de son clan et de sa tribu.
Au Canada, l’âge moyen pour devenir époux était de près de 28 ans, alors que jusqu'à tard au 17e siècle, on ne comptait qu'une seule femme pour sept hommes. Dans cet intervalle, et même au-delà, et devant un tel déséquilibre des sexes, les jeunes aventuriers canadiens ne se faisaient pas prier pour décamper dans les bois et ainsi jouir d’un espace de liberté auquel ils ne pouvaient même pas rêver à l'intérieur de la colonie.
Dans les cultures autochtones, le péché sexuel n’existait tout simplement pas. Au contraire, c’était l’assouvissement des désirs charnels qui favorisait une bonne santé. L’appel des Grands Lacs n’était donc pas seulement celui des fourrures, mais aussi celui de l’Éros, là où abondaient des femmes libres et accueillantes. Dans les maisons longues et les wigwams, les corps se liaient et les unions se consommaient, souvent selon des codes amoureux d’une surprenante délicatesse, tel quel que le rituel de « l’allumette ».
Le libertinage pouvait également se vivre dans le sens inverse, alors qu’il arrivait que des Autochtones ne dédaignent pas non plus le charme de Canadiennes lorsqu’ils se rendaient aux postes de traite français pour troquer leurs fourrures.
Par des unions et mariages mixtes, de nombreux Canadiens et Acadiens formèrent en Nouvelle-France des familles combinant des ascendances autochtones et françaises, dont les registres coloniaux sont loin de nous donner un juste aperçu du portrait complet.
Source : Marco Wingender
Crédit d’illustration : Newlyweds, de Martin Grelle
MÉTISSAGE ETHNIQUE DANS LES "PAYS D’EN HAUT" L’APPEL DE LA LIBERTÉ ET DE L’ÉROS
À l’échelle de la Nouvelle-France, c’est dans les "Pays d’en Haut", couvrant la région à l’ouest de Montréal et s’étirant jusqu’au bassin des Grands Lacs, que se manifesta le plus largement le métissage ethnique avec les Premières Nations.
Tout au long du régime français, la population franco-canadienne dans ce vaste versant de la colonie ne dépassa jamais le millier de personnes, incluant les coureurs de bois qui faisaient l’aller-retour vers la vallée du Saint-Laurent. Dans ce monde de nature sauvage, un homme pouvait difficilement vivre sans femme et l’inverse était tout aussi vrai.
Ce contexte d’interdépendance, conjugué à la traite des fourrures, favorisa l’émergence de bon nombre de mariages mixtes. Perçu comme un pourvoyeur de marchandises européennes si prisées, le coureur de bois était susceptible d’aider non seulement sa compagne, mais aussi le clan auquel elle appartenait. De plus, les sociétés autochtones préféraient clairement ce type de relation formelle de parenté en guise d’assise à un partenariat commercial de même qu’à une alliance militaire avec l’empire français, sources de prestige pour les familles qui y prenaient part.
Deux envoyés coloniaux aux 17e et 18e siècles, le Canadien Paul Le Moyne de Maricourt avec les Onondagas et le Français Louis-Thomas Chabert de Joncaire avec les Senecas, avaient chacun simultanément des épouses canadienne et autochtone. Chez les Ojibwés du lac Supérieur et au sein de plusieurs nations algonquiennes de l’arrière-pays, plusieurs Canadiens prirent également pour compagnes des femmes de leur tribu, donnant naissance à de grandes familles qui demeuraient avec la mère. Selon l’historien Gilles Havard, le parcours de ces hommes ne faisait pas figure d’exception dans la colonie à cette époque.
Les Canadiennes étant déjà rares dans la vallée laurentienne et la chasteté n’étant pas valorisée par les coureurs de bois, les militaires et autres hommes qui partaient à l’aventure dans l’Ouest, il apparaît d’autant plus évident que les liaisons entre colons et Autochtones tissaient le fil de leur vie quotidienne. Ne s’accompagnant pas toujours d’un mariage, ces contacts intimes cristallisaient néanmoins des unions entre les personnes qui, souvent, pouvaient laisser une descendance. Additionnées à l’échelle de la colonie française, elles s’avérèrent le ciment essentiel de l’alliance diplomatique et commerciale franco-autochtone.
Fuyant quant à eux des situations précaires, soldats, engagés, domestiques et autres apprentis pouvaient aussi s’éclipser à tout moment dans les bois. Dans la première décennie du 18e siècle, sur les 668 hommes répertoriés à Montréal comme voyageurs ou engagés dans la traite des fourrures, 100 à 150 avaient disparu dans la "mer de l’Ouest". Souvent tombés sous le charme d’une Autochtone, la plupart s’installaient parmi les Premières Nations et s’assimilaient à elles, alors qu’ici et là, voyageurs, missionnaires et soldats croisaient ces "Autochtones blancs".
Source : Marco Wingender
Crédit d’illustration : Charles William Jefferys
Au cours de l’âge d’or de la traite des fourrures à compter de la deuxième moitié du 17e siècle, les unions mixtes entre Canadiens et Autochtones relevaient de la normalité à l’ouest de Montréal.
Selon l’historien franco-ojibwé du 19e siècle, William W. Warren, chez les Ojibwés du lac Supérieur, aucun étranger n’était mieux accueilli que les voyageurs canadiens qui s’amenaient à leur rencontre chaque printemps après avoir parcouru des milliers de kilomètres en canot. En effet, les Ojibwés, tant hommes et femmes, prirent en affection ces Canadiens qui les respectaient et qui avaient facilement assimilé leurs coutumes.
Contrairement à une majorité de Britanniques qui faisaient du profit le principal motif de leurs quêtes pelletières, ces "voyageurs du Nord" accordaient bien plus d’importance à la pleine jouissance de leur vie présente, alors que leur bonne humeur et leur ouverture de cœur leur valaient de s’entendre à merveille avec le caractère des Ojibwés.
À l’échelle de la région, on assista dès la fin du 17e siècle à l’apparition d’une première génération de Métis. Sauf exception, les enfants issus de ces unions étaient de mères autochtones, dont le rôle était d’élever la progéniture. Ces jeunes Métis demeuraient donc dans leur communauté et, le plus souvent, ils se retrouvaient assimilés aux Premières Nations. C’est d’ailleurs pourquoi ils n’ont laissé que peu de traces dans les sources historiques.
Néanmoins, on en vint bientôt à distinguer entre les Premières Nations et les Métis. Ce fut le cas du secrétaire du gouverneur Frontenac en 1696 qui, lors d’une expédition militaire contre les Iroquois, remarqua que les éléments les plus intrépides de l’armée franco-autochtone étaient issus d’unions mixtes. Bien qu’à cette époque, ils pouvaient se regrouper lors d’opérations militaires, ces Métis de culture autochtone ou franco-autochtone ne possédaient pas encore d’identité collective distincte.
Autour de 1700, quelque 150 à 200 coureurs de bois canadiens gagnèrent quant à eux le Haut Mississippi, au pays des Illinois, et s’y installèrent. À Cahokia, Kaskaskia et Peoria, plusieurs d’entre eux épousèrent des femmes de cette nation et introduisirent la culture du blé, qui venait s’ajouter à celle du maïs, tout en poursuivant leurs activités de traite et de chasse. Un observateur de passage nota aussi qu’un moulin à vent y fut construit pour faire du pain que les Autochtones "trouvent beaucoup de douceur à manger".
Tissant ensemble des liens interculturels complexes aux couleurs uniques, coureurs de bois et Premières Nations nouèrent des relations étroites et jetèrent les bases de nombreuses communautés canadiennes et métisses dans les vastes contrées de l’intérieur du continent nord-américain.
Source : Marco Wingender
Crédit d’illustration : Paul Kane