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La difficulté des langages régionaux en Nouvelle-France

Mes lectures m'incitent à vous parler de l'implantation du français au Canada durant la période où ce vaste territoire était connu sous le nom de Nouvelle-France. Que sait-on de la langue des nouveaux arrivants qui ont constitué la première colonie française des Amériques? Rappelons tout d'abord que la période de la Nouvelle-France s'étend de 1534 à 1760-1763, soit de l'arrivée de Jacques Cartier à la fin du Régime français.

L'un des travaux bien documentés sur le sujet s’intitule « Histoire du français au Québec »ouvre dans une nouvelle fenêtrenote1. Il est l’œuvre du chercheur Jacques Leclerc, un collaborateur à la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d'expression française en Amérique du Nord (CEFAN) de l'Université Laval. Je vais vous en présenter les éléments qui m’ont interpelé.

Quel était le français que parlaient ceux et celles qui ont quitté la France pour venir s'établir sur ces nouvelles terres? Mis à part nobles, officiers militaires, membres du clergé et certains grands commerçants, cette étude nous apprend qu'une partie des émigrants parlaient un français populaire qu'on pouvait entendre, à cette époque, en Île-de-France. Provincialismes et expressions argotiques y étaient d'usage. On estime que cette cohorte représentait 38 % des locuteurs. Les quelque 60 % restants s'exprimaient dans leur parler régional, soit le normand, le poitevin, le bourguignon ou le lorrain. De ce nombre, seule la moitié pouvait comprendre l'une ou l'autre des variantes du français de l'époque.

Au cours du 17e siècle, deux foyers linguistiques se sont développés en Nouvelle-France. Québec était le principal, s'étendant à l'époque sur une zone de 120 km, devant Montréal dont l'agglomération couvrait un territoire qui s'étalait sur 80 km. Précédemment, l'Acadie avait constitué un autre foyer. Les recherches ont mis en lumière le fait que les locuteurs issus du centre de la France et de la région parisienne sont venus davantage s'établir dans la région de Québec, à la différence de celle de Montréal où l'apport des parlers ruraux de l'ouest de la France a été plus important.

Parmi les contingents qui peuplèrent cette nouvelle contrée, le rôle qu'a pu jouer sur le plan linguistique l'arrivée massive de quelque 800 filles du roi fut non négligeable. Le français était la langue maternelle d'environ 80 % de ce groupe constitué pour moitié de Parisiennes. À ce groupe se sont joints 1 200 soldats et près de 80 officiers à l'arrivée du régiment de Carignan-Salières à l'été de 1665. Ils furent suivis par quelque 10 000 soldats et officiers de la Marine, entre 1683 et 1760, dont près de la moitié se sont établis au Canada. Il en est résulté qu'en Nouvelle-France, le français qu'on parlait était celui de l'aristocratie, celui de la cour et des salons, qui sera conservé par les habitants d'ici alors qu'il sera abandonné peu à peu de l'autre côté de l'Atlantique à la Révolution française.

Dès le milieu du 18e siècle, le père Louis-Philippe Potier (1708-1781) inventorie près de 2 000 expressions en usage dans cette colonie française et inconnues des habitants de la France. Son recueil intitulé Façons de parler proverbiales, triviales, figurées, etc., des Canadiens au XVIIIe siècle constitue le premier et l'unique lexique du français parlé en Nouvelle-France.

Mentionnons également que ce français parlé par les premiers Canadiens s'est enrichi par des emprunts aux langues amérindiennes dont la présence est notée dès le 17e siècle. Le domaine de la toponymie en fut le plus grand bénéficiaire et ce sont les langues algonquiennes qui en furent les sources les plus usitées.

Dans son étude, Jacques Leclerc précise aussi que « ...le trait le plus marquant semble être le fait qu'en Nouvelle-France les Canadiens parlaient une langue commune autant chez l'élite que chez le peuple, sans distinction de classes. »

Bref, la colonie parlait un français très semblable à celui de la France, mais qui présentait déjà plusieurs caractéristiques qui lui étaient propres, comme l’influence des parlers régionaux et celle des langues amérindiennes.

Publié le  27 avril 2020 Rédigé par  SteevesGourgues

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