
Au coeur d'une culture masculine du grand homme

Au temps de la Nouvelle-France, les années de voyage commençaient tôt pour les Canadiens et très vite, ils apprenaient à lire le livre de la forêt, à maîtriser la peur et à s’endurcir sur des chemins sans fin.
Pour s’aventurer dans les profondeurs de l’arrière-pays et hiverner avec les Premières Nations, ils avaient appris les voies de l’Autochtone, ses habiletés techniques, son savoir de la faune et de la flore, de même que sa capacité à s’orienter dans ces vastes espaces.
Composant en permanence avec les sociétés autochtones, les coureurs de bois s’étaient aussi appropriés certaines de leurs attitudes et valeurs. Tel que nous le révèlent les travaux de l’historien français Gilles Havard, autour de la traite des fourrures avec les Premières Nations se forgea une culture masculine du voyage toute singulière : celle du "Grand Homme".
Dans cette culture intimement métissée, on accordait une grande importance à la bravoure et aux preuves de l’accomplissement viril. On y admirait aussi beaucoup l’homme d’action plutôt que les belles paroles, alors que le sens de l’honneur, la force physique, le mépris du danger, l’endurance à la fatigue, l’habileté à la chasse et même l’audace à la guerre importaient plus que tout.
Les faits d’armes se gagnaient par les prouesses et les confrontations triomphantes avec les périls de la nature sauvage de même qu’en ecchymoses, en meurtrissures et en cicatrices.
La capacité à porter une lourde charge de marchandises sur le dos était notamment un prérequis pour obtenir le respect de ses compagnons de voyage. On se mesurait aussi dans des courses de canot et même à pied.
Afin de démontrer sa fermeté devant l’adversité, son goût du risque et ses capacités à relever les défis, on ne manquait pas les occasions de rivaliser dans des concours d’endurance à la fatigue ou même la douleur.
Au plus fort de ces épreuves, les Canadiens se glorifiaient de cette vie.
La reconnaissance obtenue des Autochtones était aussi fortement valorisée : "Le plus grand compliment qu’ils puissent faire à un homme blanc, écrivit un bourgeois fréquentant les Ojibwés, est de le comparer à un « Indien »".
Pour démontrer le succès de son intégration au sein des communautés autochtones et affirmer son capital de virilité, on n’hésitait pas à braver ses hôtes sur leur propre terrain. Par exemple, on participait avec fougue aux violentes parties du sport de la crosse et l’on se risquait à des paris audacieux où l’on misait parfois sa chemise.
Le coureur de bois représentait l’incarnation par excellence du dynamisme du peuple canadien. Toutefois, aux yeux des autorités coloniales et cléricales, la passion des Canadiens pour la course dans les bois et cette culture masculine libre et fière qui la fit émerger contribua également à développer de nouveaux comportements d’insoumission qui risquaient de bouleverser l’ordre établi de la société coloniale de même que le respect accordé aux hiérarchies anciennes.
Crédit d’illustration : John David Kelly