Les Forget ditDespatis
NICOLAS FORGET DIT DESPATIS VENAIT
D'ALENÇON, EN NORMANDIE
Origines du peuplement à Alençon et dans ses environs
Les recherches les plus récentes permettent de comprendre comment le site de la ville d’Alençon a été occupé. Les périodes anciennes : dans les environs de la ville, les archéologues ont étudié des sites remontant au Néolithique, comme à Saint-Germain-du-Corbéis où il s’agit d’une carrière d’extraction de schiste destiné à la fabrication de bijoux, ou à Cerisé où des vestiges d’habitats ont été fouillés. L’âge du bronze est aussi représenté à Cerisé avec l’existence de cercles funéraires. L’âge du fer est très présent dans la campagne alençonnaise, ne serait-ce qu’au travers de nombreux noms de communes et de lieux-dits. Il existe aussi de nombreuses fermes indigènes, terme désignant les exploitations agricoles gauloises avant la romanisation.
Toutes ces périodes, ne sont pas représentées sur le site même de la ville d’Alençon. La période gallo-romaine est aussi présente avec de nombreux sites. Lorsque les archéologues font le bilan des données, les sites se concentrent sous la forme de deux couronnes entourant Alençon. Ils en déduisent que ces sites, à vocation agricole, ont fait vivre un centre plus peuplé. S’agit-il d’une villa ou d’un vicus ? Le problème majeur est qu’aucune trace d’occupation gallo-romaine n’est connue dans les limites actuelles d’Alençon. En revanche, il existe des traces d’un passage. Plusieurs monnaies ont été retrouvées à travers la ville : rue des Grandes Poteries, Grande rue, vieux Pont de Sarthe, rue des Tisons.
Antiquité
Alençon s’est développée à l’origine dans un méandre de la rivière Sarthe, soit l’actuel quartier de Montsort. En effet, les gaulois préféraient s’installer dans des endroits sains, comme l’extrémité du plateau calcaire que constitue Montsort, plutôt que dans l’encaissement marécageux où Alençon s’est étendu à partir du xe siècle.
La christianisation de la Normandie commence au milieu du IVe siècle. Tout d’abord des aristocrates gallo-romains, vivant à la fois dans des centres urbains et possédant de vastes domaines ruraux, importent cette nouvelle religion. À cette période, Alençon est dans la Seconde Lyonnaise mais, à partir des années 380, cette province est coupée en deux. Les capitales sont respectivement Tours et Rouen, sous l’autorité de deux évêques, anciens militaires : Martin et Victrice. En outre, l’ouest de la Gaule bénéficie d’une relative stabilité. Saint Victrice entretient des relations soutenues avec Ambroise de Milan. En 396, saint Ambroise offre des reliques à saint Victrice, notamment celles de saint Gervais et saint Protais. Des reliques des deux saints sont amenées à Sées cette même année, consacrant la cathédrale. De là, les aristocrates gallo-romains vont permettre au christianisme de pénétrer d’avantage les campagnes, de faire reculer le paganisme. La région qui correspond plus ou moins à l’actuelle Normandie (la Seconde Lyonnaise) fait partie d’un ensemble dénommé au ive siècle Tractus Armoricanus et Nervicanus, division militaire et administrative. Il faut en effet empêcher les invasions des Saxons par la mer. Le Tractus armoricanus fonctionne durant tout le ve siècle. L’autorité est détenue par les évêques. Les Pays, pagi, vont servir de cadre à la création des évêchés. Ainsi, le pagus oxismensis, le pays d’Exmes, correspond à l’évêché de Sées. Il est divisé en quatrecentenae dont une à Alençon pour chef-lieu administratif : pagus novaciensis avec Neuvy-au-Houlme, pagus saginsis avec Sées, pagus corbonnensis avec Corbon, pagus alencionnensis avec Alençon. C’est la première mention d’Alençon, tardive car du viie siècle, mais ces divisions sont mises en place au ve siècle.
Moyen Âge
Durant l’Antiquité tardive et la période mérovingienne, Alençon est Montsort. « Montsort » est un nom tardif, quant au nom « Alençon », il est capté au xe siècle à la suite d'un déplacement du centre des pouvoirs sur la rive nord de la Sarthe. Le village mérovingien d’Alençon correspond à la paroisse Saint-Pierre soit Montsort. Il est massé sur l’extrémité du plateau sur la rive sud de la Sarthe. Saint-Pierre indique une église funéraire du vie ou du viie siècle. La paroisse est imposée en nature par l’évêque du Mans avec de l’huile et de la cire destiné à l’éclairage de la cathédrale et d’un tiers de sou mérovingien. La Sarthe est la limite entre les évêchés du Mans et de Sées. Alençon est le chef-lieu d’une centenie mérovingienne puis d’une vicarie carolingienne, qui est une division équivalente.
À la période carolingienne, Alençon se trouve dans le ducatus cenomannensis, le duché du Mans, qui est une partie de la Neustrie. La région subit les raids vikings. Les envahisseurs pénètrent la région en remontant le cours de l’Orne vers le sud, ou vers le nord en suivant la Loire, la Maine et la Sarthe. En 911, le traité de Saint-Clair-sur-Epte stipule que le roi carolingien cède un vaste territoire à Rollon, chef viking. Ce territoire est un royaume entre Seine et Loire, trop vaste pour que les hommes, qu’on appelle désormais les Normands, puissent l’investir. Une prise de possession progressive est mise en place, évêché après évêché. En 924, Sées est revendiquée par les Normands. Ils arrivent jusqu’à la limite méridionale, soit la Sarthe. Un nouveau centre est créé sur la rive nord, pour concurrencer le village de la rive sud (Montsort-Alençon), et affirmer le nouveau pouvoir. En attendant de revendiquer l’évêché du Mans, des pactes sont passés avec les nobles du secteur, élargissant l’orbite normande. La famille de Bellême est la plus importante autorité sur la marche méridionale de la Normandie, de Mortagne à Domfront. Cette seigneurie de Bellême est une vaste zone tampon entre le Perche, l’Anjou, la Bretagne et la Normandie. Alençon est dès lors dans une position avantageuse.
Un prieuré de l’abbaye de Lonlay est implanté dans la seconde moitié du XII siecle.
Époque moderne
Érigée en duché, en 1414, Alençon est le lieu de résidence de Marguerite d’Angoulême, qui a épousé, en 1509, à l’âge de dix-sept ans, le duc d’Alençon Charles IV, en premières noces. Même après la mort de Charles, survenue en 1525 à la bataille de Pavie, Marguerite d’Angoulême, grand-mère maternelle du futur Henri IV, Marguerite d’Angoulême, sœur du roi François Ier, établit, après son veuvage, sa cour à Alençon, où elle est demeurée après son remariage avec le roi de Navarre. Amoureuse des belles-lettres, la duchesse Marguerite réunit à sa cour un grand nombre d’hommes de lettres, dont les poursuites dirigées contre les partisans de la Réforme ne fit qu’augmenter le nombre. C’est ainsi qu’Alençon devint l’asile de savants persécutés au nombre desquels on comptait les hommes de lettres Clément Marot, Charles de Sainte-Marthe, Bonaventure Des Périers, Claude Gruget, qui publiera son Heptaméron, Antoine Le Maçon, traducteur de Boccace, Guillaume Le Rouillé, Thomas Cormier, l’évêque de Séez Nicolas de Danguye, ou Sylvius de la Haye.
La Réforme protestante fut prêchée dans le duché d’Alençon, dès 1524, et l’esprit de tolérance de Marguerite de Valois, qui permit également aux prédicateurs Michel d'Arande et Pierre Caroli de faire pénétrer les idées nouvelles à Alençon, y fit de nombreux prosélytes parmi ses habitants, durant la première moitié du xvie siècle. Première ville de Normandie acquise aux idées calvinistes, celle-ci devient rapidement un foyer de la Réforme, au point que, en 1530, un réformé allemand qualifiait Alençon de « petite Allemagne ». Dès 1529, Simon Du Bois y imprime le Petit Catéchisme de Luther. « La reine de Navarre, écrit un historien de cette ville, bonne, sensible, pleine de commisération, déroba au supplice autant de protestants qu’il lui fut possible. Elle sauva l’humaniste réformateur Gérard Roussel du cénacle de Meaux, rigoureusement poursuivi par le Parlement, et en fit son aumônier ; Caroli, également poursuivi par le Parlement, à qui elle donna la cure de Notre-Dame d’Alençon, qu’il quitta pour passer en Suisse, où il se maria… Un protestant d’Alençon s’étant avisé de briser, pendant la nuit, un crucifix qui était au portail de l’église de Saint-Louis, Marguerite apaisa l’affaire, en faisant mettre à la place un autre crucifix un peu mieux décoré que le premier. Mais la bonne duchesse ne put jamais sauver des flammes Étienne Le Court, curé de Condé, près d’Alençon, attaché aux nouvelles opinions, qui fut brûlé le 21 décembre 1533 ».
Les Protestants s’emparent alors de la ville, saccagent les églises et interdisent le culte catholique.
À la mort de la reine de Navarre, en 1549, le duché d’Alençon, malgré les contestations des héritiers collatéraux du duc Charles IV, fut définitivement rattaché au domaine royal. Après la mort de François II, CharlesIX céda le duché à sa mère Catherine de Médicis, qui en jouit jusqu’en 1566, date à laquelle elle le remit au roi, qui le donna à son plus jeune frère François, alors âgé de douze ans. Dès le commencement du règne de Charles IX, les protestants alençonnais se mirent à piller les églises Notre-Dame, Saint-Biaise et du couvent de l’Ave-Maria. Les catholiques furent obligés de s’armer pour se protéger leur vie ; la procession le jour de la Fête-Dieu, fut escortée par le chef de la corporation des bouchers accompagné de ses collègues armés de leurs assommoirs, de leurs coutelas et suivis de leurs chiens21. Aidé des protestants du Mans, les protestants s’emparèrent de la ville et pillèrent de nouveau les églises. L’ordre se rétablit enfin dans la cité, où catholiques et les protestants se partagèrent les fonctions municipales, à part égale.
Pendant les guerres de Religion, Montgomery, qui propageait avec ferveur la foi nouvelle dans toute sa province, s’empara d’Alençon, qu’il fut bientôt obligé de quitter, pour aller rejoindre l’armée du prince de Condé à la Rochelle. En 1572, à l’époque de la Saint-Barthélemy, Matignon empêcha les catholiques de prendre leur revanche, sauvant les très nombreux protestants du pays d’Alençon, qui reprirent une seconde fois Alençon en 1574. Lorsque, en 1575, le duc François, qui avait pris la tête du parti desMalcontents, parvint à s’échapper de la cour, où le retenait presque prisonnier son frère Henri III, il se réfugia dans sa ville ducale d’Alençon, où ne tarda pas à venir le rejoindre le futur Henri IV, pour mettre à exécution les plans qu’ils avaient combinés ensemble. C’est d’ailleurs à Alençon qu’Henri fit sa rentrée triomphale dans l’Église protestante, en reniant publiquement le catholicisme qu’il avait été forcé d’embrasser, le poignard sous la gorge, le jour de la Saint-Barthélemy.
Le duché d’Alençon, qui avait été de nouveau réuni à la couronne à la mort du duc François, en 1584, devint, pendant la Ligue, le théâtre de la guerre. Bien que la ville soit restée fidèle à Henri III, elle fut néanmoins prise et rançonnée par le duc de Mayenne, chef de la Ligue. Sous le règne d’Henri IV, le maréchal de Biron l’assiégea à la tête de l’armée royale ; son artillerie y fit un dégât considérable, et les ligueurs furent contraints à capituler. Comme le roi avait le plus pressant besoin d’argent, il se fit payer par la ville 17 000 écus qu’elle devait au duc de Mayenne, sur le prix de sa capitulation. En 1605, Henri IV engagea la ville et le duché au duc Frédéric Ier de Wurtemberg, à quiMarie de Médicis le racheta en 1613. Compris par la suite dans l’apanage du frère de Louis XIII, Gaston d’Orléans, le duché d’Alençon passa, en 1660, à sa seconde fille, Élisabeth d’Orléans, épouse du duc de Guise.
En 1636, lors de la refonte de l’administration territoriale du royaume par Richelieu, le duché d’Alençon est supprimé et remplacé par la généralité d'Alençon faisant partie, avec celles de Rouen et de Caen, dugouvernement de Normandie. Dans les années 1660, la protestante Marthe La Perrière invente le point de France ou point d’Alençon et fonde, en 1665, la manufacture à laquelle Colbert accordera un privilège demanufacture royale. Alençon emploiera, à l’apogée de son art, jusqu’à huit mille dentellières
Lors des premières persécutions des protestants, qui préluderont à la révocation de l'Édit de Nantes, les Alençonnais réformés préféreront fuir les dragonnades, plutôt que d’attendre passivement l’arrivée desdragons et laissent une ville vide aux troupes. Élisabeth de Guise commença la persécution contre les protestants de son duché, allant jusqu’à faire exhumer leurs restes et les faire jeter à la voirie, pour réunir leur cimetière à ses jardins d’Alençon. Lors de la proclamation définitive de l’édit de Fontainebleau, le pasteur d’Alençon adresse à ses ouailles sa Lettre d’un pasteur banni de son pays à une église qui n’a pas fait son devoir dans la dernière persécution, à la suite de laquelle pas un seul protestant ne restera à Alençon. Cette forte émigration des forces vives de l’économie alençonnaise, occupée dans la dentelle — dont certains catholiques ne voulant pas perdre leur emploi — et l’imprimerie, fuiront vers l’Angleterre, les Pays-Bas ou les îles Anglo-Normandes, laissant la ville exsangue. TEXTE : WIKIPEDIA
Lorsque Nicolas Forget dit Despaties quitta Alençon pour la Nouvelle France il semble évident qu’il quitte un endroit ou la guerre que se livrèrent catholiques et protestants fut de toute évidence très présente et à la fois très périlleuse. Pour plus d'informations sur Alençon et le protestantisme, cliquez ici.
Alençon et le protestantisme
Dans son roman La Vieille Fille (1836), Balzac ne mâche pas ses mots : « Alençon n’est pas une ville qui affriande l’étranger, elle n’est sur le chemin d’aucune capitale, elle n’a pas de hasards ; les marins qui vont de Brest à Paris ne s’y arrêtent même pas. » Trois siècles plus tôt, le romancier aurait été surpris. Au début du XVIe siècle, Alençon est en effet au carrefour des routes reliant Paris à la Bretagne et Rouen à Tours.
Elle est la porte d’entrée d’une des plus riches provinces de France, la Normandie, une région stratégique, essentielle par l’activité de ses ports et par sa proximité avec les frontières nord du royaume. D’ailleurs, les souverains en confient uniquement le gouvernement aux princes du sang ou à de très grands seigneurs. Le paysan de la région y a pour devise : « Chacun est sire de soi ». Plus qu’ailleurs s’y affirment, avec le déclin de la féodalité, ces nouvelles forces que sont la bourgeoisie des villes et le pouvoir monarchique.
Les idées nouvelles circulent, à l’image de la Réforme, favorisée à Alençon par l’essor qu’y connaît l’imprimerie. Dès 1529, y circule une traduction du Petit Catéchisme de Martin Luther (1483-1546). Dans ce bref ouvrage, le moine allemand clarifie, pour les rendre accessibles au plus grand nombre, l’enseignement et la parole de Dieu « tels qu’un chef de famille doit les enseigner aux siens en toute simplicité ».
Cette même année, la nouvelle religion a pris le nom de protestantisme. Elle exprime un retour à l’évangile, une individualisation de la piété qui s’oppose aux ajouts de la tradition mais aussi à la hiérarchisation de la société ecclésiastique. On rejette le culte de la Vierge et des saints. On se détourne d’une liturgie catholique surchargée d’images et de symboles compliqués. On redécouvre la parole de Dieu dans sa pureté et son intégralité à travers la Bible, désormais diffusée par l’imprimerie, et qui paraît un livre neuf.
Il s’en faut de peu pour que François Ier n’accorde à la Réforme son soutien. Mais le roi ne peut se permettre de perdre les avantages financiers que lui apporte la perception des bénéfices ecclésiastiques, selon les accords du concordat de Bologne, signé en 1516 avec le pape Léon X. Ces accords règlent, et régleront jusqu’à la Révolution française, les rapports du Saint-Siège et de la monarchie. Le roi de France ne peut donc pas être le défenseur du protestantisme. Ce sera sa propre sœur, Marguerite, duchesse à Alençon, appelée par les poètes la « perle des Valois », qui favorisera en Normandie la diffusion de la Réforme, et qui tentera de réconcilier catholiques et protestants.
Acte I : Marguerite, la protectrice des Huguenots
En 1509, Marguerite de Valois-Angoulême, alors âgée de 17 ans, épouse le duc d’Alençon. Veuve en 1525, elle se remarie deux ans plus tard avec Henri d’Albret, roi de Navarre, ce qui fera d’elle la grand-mère du futur Henri IV. Fascinée par les idées nouvelles, elle continue de séjourner à Alençon où elle tient une cour et accueille des esprits libres. Ainsi le poète Clément Marot, ou Lefèvre d’Etaples, l’un des premiers traducteurs de la Bible en français.
Sœur de François Ier, Marguerite de Valois-Angoulême (1492-1549) devint duchesse d’Alençon en 1509. Fervente chrétienne, elle s’intéressa aux idées de la Réforme, sans toutefois abjurer la foi de ses ancêtres, et tenta de réconcilier catholiques et protestants.
Marguerite de Navarre est elle-même écrivain. On lui doit notamment l’Heptaméron, un recueil de 72 nouvelles, publié après sa mort en 1549. En 1533, l’un de ses ouvrages, le Miroir de l’âme pécheresse, dans lequel elle tente de réaliser la synthèse de l’humanisme et du mysticisme chrétien, est condamné par la Sorbonne, mais soutenu par le théologien réformiste Jean Calvin (1509-1564) dont elle devient l’amie. Si Marguerite ne s’est pas convertie au protestantisme, c’est uniquement par égard pour le roi, son frère. Elle fera pourtant d’Alençon la première ville de Normandie acquise à la Réforme, accueillant les prédicateurs persécutés de la nouvelle foi, comme Michel d’Arande ou Pierre Caroli.
Sous sa protection, les deux théologiens vont faire d’Alençon un temple des idées nouvelles, au point qu’un réformé allemand de passage, dans une lettre à son ami Luther, décrit ce coin de France comme une « mini Allemagne ». Pourtant, les tensions y sont nombreuses au sein des deux communautés chrétiennes. Des incidents se multiplient. Lorsqu’un protestant brise un crucifix au portail d’une église, Marguerite tente d’apaiser les esprits en faisant remplacer l’objet sacré par un crucifix plus beau encore.
En juin 1533, les Alençonnais découvrent deux statues, de la Vierge et de saint Claude, protecteur de la ville, pendues à des gouttières, à la fureur des autorités catholiques. Cette fois, la duchesse ne pourra empêcher que l’on pende les deux suspects du blasphème. Pas plus qu’elle ne sauvera des flammes du bûcher Etienne Le Court, curé de Condé, près d’Alençon, coupable de propager la nouvelle foi. En dépit de ces drames, un relatif équilibre s’instaure entre catholiques et protestants, ces derniers représentants, au milieu du XVIe siècle, un tiers de la population d’Alençon.
Acte II : l’édit de Nantes ou le pari de la pacification
Elle aura contribué à maintenir l’équilibre entre les cultes. La mort de Marguerite en 1549 marque naturellement un regain de tension. En 1560, sentant monter la violence, les protestants d’Alençon repartent à l’assaut des églises qu’ils pillent et dévastent, forçant les catholiques à se réarmer. En juin de la même année, la procession de la Fête-Dieu est escortée par le chef catholique de la corporation des bouchers, accompagné de ses collègues armés de leurs assommoirs et de leurs coutelas, suivis de leurs chiens. Cette procession étrange et solennelle sera rituellement commémorée à Alençon, chaque année, jusqu’à la Révolution de 1789…
D’abord occupée par les troupes protestantes du comte de Montgomery, Alençon se voit envahie en 1563 par le catholique Jacques de Matignon, à qui le duc d’Aumale, gouverneur de Normandie, a confié les bailliages de Caen, d’Avranches et d’Alençon. En 1572, au moment du massacre de la Saint-Barthélemy, Matignon retient les catholiques en armes et sauve presque tous les protestants de la région.
Ces derniers reprennent le contrôle de la ville en 1574 et sont rejoints par Henri de Navarre, le futur Henri IV. Celui-ci abjure publiquement le catholicisme auquel on l’avait contraint de se convertir au lendemain de la Saint-Barthélémy. En 1589, suite à la mort de son cousin Henri III, il devient l’héritier de la couronne et poursuit la guerre contre les ligueurs catholiques. Mais, cinq ans plus tard, il comprend qu’il n’a pas d’autres choix que de faire la paix pour asseoir sa légitimité. Le 25 juillet 1593, Henri IV abjure donc le protestantisme à Saint-Denis pour se rallier les ligueurs, avant d’être sacré à Chartres sept mois plus tard.
En 1598, il promulgue l’édit de Nantes, qui veut assurer la pacification religieuse, et accorde la liberté de culte. Le catholicisme est certes proclamé religion d’Etat, mais des privilèges considérables sont accordés aux protestants. La liberté de conscience est reconnue, ainsi que la liberté de culte dans tous les endroits où le protestantisme s’est établi avant 1597, comme Alençon. Les anciens temples sont restitués aux protestants qui ont l’autorisation d’en bâtir de nouveaux et de tenir des synodes. Ils jouissent de l’égalité civile avec les catholiques et ont accès à tous les emplois publics. Des chambres mi-parties composées de juges des deux religions doivent siéger dans diverses villes afin de juger les procès dans lesquels seraient impliqués des protestants.
Cette gravure du XVIe siècle est une allégorie de la Réforme. Le char de la « religion libre » emmené par Luther et Calvin, est suivi de soldats protestants. Ces derniers foulent aux pieds des objets liturgiques catholiques et des symboles royaux. © Rue des Archives/Tallandier
Face aux nombreuses concessions accordées aux protestants, la colère gronde chez les catholiques de toute la France, notamment lorsque les huguenots accentuent leur implantation à La Rochelle, Saumur ou Montpellier. On les accuse bientôt de vouloir former un Etat dans l’Etat. L’équilibre créé par l’Edit de Nantes semble bien fragile…
Acte III : le XVIIe siècle, un âge d’or trompeur
Spécialiste du protestantisme, Ernest-Guillaume Léonard (1891-1961) souligne que la Réforme a peu pénétré les campagnes. La plupart des protestants normands appartiennent à la classe moyenne aisée des propriétaires, petits industriels et gros artisans. Ils ne réunissent, « aux plus beaux temps du régime de l’Edit, qu’une vingtaine de milliers de religionnaires » selon l’historien. Ils sont environ 4 000 à Caen, 2 400 à Alençon. Au début du XVIIe siècle, s’ils ne représentent plus dans cette ville que 15 % de la population, ils n’en détiennent pas moins une part importante des offices et, à la fin du règne de Louis XIII, on estime que la moitié des conseillers de la ville sont protestants. Leur prestige est assez grand pour qu’ils accueillent à Alençon, en 1637, un synode national des églises réformées.
Vers 1660, la protestante Marthe La Perrière invente le « point de France » ou « point d’Alençon », et fonde une manufacture à laquelle Colbert accorde un privilège de manufacture royale. Huit mille dentellières s’y emploient bientôt à faire oublier le « point de Venise ».
Mais cet âge d’or du protestantisme en Normandie est trompeur et de courte durée. La « réduction des Huguenots », déjà en marche sous Louis XIII et Richelieu, connaît une brusque accélération sous Louis XIV. Le Roi Soleil aspire à l’unité et veut « normaliser » dans son royaume le droit, la justice, la morale… et bien sûr la religion. En 1685, il promulgue l’édit de Fontainebleau, qui révoque l’édit de Nantes.
Acte IV : de la Révocation à la Révolution, un siècle de répression
L’Edit de Fontainebleau et la fin des libertés religieuses entraînent une nouvelle vague d’affrontements. Fuyant les dragonnades, ces persécutions et pillages menés par les « dragons », des soldats à cheval, les réformés se hâtent vers les côtes, montent à bord des « barques de charité » anglaises et hollandaises et se réfugient en Angleterre, aux Pays-Bas ou dans les îles anglo-normandes. Les quelque 7 000 protestants que comptait Rouen vers 1650 ne sont plus, à la fin du siècle, qu’un millier et demi.
Après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, la répression et les « dragonnades » s’accentuèrent à l’égard des protestants récalcitrants (gravure de Jan Luyken, fin du XVIIe siècle). © akg-images
Les nobles se retirent à la campagne où leur fortune et leur prestige leur permettent de rester fidèles à leur foi. Mais les commerçants, les industriels, les artisans se voient souvent contraints de se faire baptiser catholiques. Tous leurs actes sont contrôlés, notamment les ventes des biens, pour éviter que ces riches marchands ne partent à l’étranger et ne provoquent une fuite des capitaux. Dans ce climat oppressant, on commence à assister à des enlèvements d’enfants.
Dans Noblesses normandes (PUR, 2010), l’historien Didier Boisson raconte que des enlèvements groupés sont organisés au XVIIe siècle en Normandie à partir de listes établies par l’intendant du roi ou par des ecclésiastiques. Des soldats sont chargés de procéder aux arrestations et de conduire les enfants soit à l’hôpital général de Falaise, soit dans les couvents des « Nouveaux et des Nouvelles Catholiques », afin de « réserver ces sortes de places aux enfants qui sans ce secours seraient élevés dans l’erreur », comme l’écrit pieusement René d’Argenson, secrétaire d’Etat de Louis XV. Il est certes plus facile de convertir des enfants que des adultes, et les parents séparés de leurs enfants, littéralement pris en otages, seraient ainsi moins tentés d’émigrer. Un noble de la région d’Alençon, Charles de Frotté de Couterne, dans une lettre à un cousin, raconte son expérience douloureuse : « Votre grand-père et vos grands-oncles ont été enfermés après avoir été enlevés des bras de leur mère. Mon grand-père et mon père l’ont été également. Pour éviter de l’être, j’ai été habillé en fille et caché jusqu’à 14 ans… »
A la fin de l’Ancien Régime, malgré l’Edit de Versailles de 1787, dit l’Edit de tolérance, qui autorise les mariages protestants, le manque de pasteurs et un isolement grandissant provoquent un abandon massif de leur foi par les protestants, leur retour au catholicisme ou leur participation à la franc-maçonnerie comme « culte de substitution ».
Pour l’historien Eric Saunier, spécialiste de la Normandie, la situation géographique, culturelle et politique si particulière de la région fut à la fois une bénédiction puis un fardeau pour ses milliers de huguenots : « Ce qui a favorisé l’essor du protestantisme en Normandie, la proximité du pouvoir royal et la richesse de la province, est exactement ce qui, dans un deuxième temps, l’a opprimé et finalement étouffé ». Terrible paradoxe.