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Des interprètes dit truchements

Un truchement, c'est un coureur des bois, qui est aussi un interprète...""Difficile de concevoir un blogue sur nos ancêtres sans parler des plus valeureux d’entre eux, ces intrépides aventuriers qu’étaient les coureurs des bois. Au péril de leur vie, ils ont parcouru le pays en canot et ils ont appris les langues Amérindiennes.

Certains ont été appelés à jouer un rôle d’interprètes ou de «truchements», comme on disait à l’époque, un rôle très important pour la traite des fourrures. Leur formation a commencé lorsqu’ils étaient très jeunes, on pourrait dire adolescents. Pour apprendre, ils ont dû se baigner dans la culture et la langue, vivre chez les Amérindiens."

TROIS-RIVIÈRES ET LES TRUCHEMENTS DE CHAMPLAIN

Au fil du temps, ce petit établissement acquit une tout autre importance. À la frontière ouest de la Nouvelle-France, une culture nouvelle commença à se former. Ses créateurs étaient des hommes et des femmes, Français et Autochtones, qui improvisèrent des façons de vivre dans une mixité des cultures sans pareilles à l’échelle des Amériques. Pour l’éminent historien David Hackett-Fischer, «ceci était le Nouveau Monde qui trouva sa première demeure à Trois-Rivières.»

LES PREMIERS TRUCHEMENTS FRANÇAIS DE LA VALLÉE DU SAINT-LAURENT

Après une deuxième victoire décisive à l’embouchure de la rivière Richelieu, le 19 juin 1610, de la coalition franco-autochtone contre les redoutables guerriers mohawks, Samuel de Champlain avait acquis, à titre de commandant de la colonie française, une renommée qui s’étendra à l’échelle du nord-est du continent.

Trois jours durant, Innus, Algonquins, Wendats et Français se rassemblèrent sur une petite île au milieu du fleuve Saint-Laurent pour célébrer leur triomphe historique, parlementer et troquer des marchandises européennes contre des fourrures nord-américaines.

Ce rassemblement constitua un événement historique pour une autre raison également. Pour assurer la survie de la frêle colonie française, dépendante du commerce pelletier et de bonnes relations avec ses fournisseurs, Champlain accordait une grande importance à la communication interculturelle. À la lumière du succès connu en Acadie quand trois jeunes Français avaient été confiés aux Mi’gmaq et aux Wolastoqiyik, Champlain décida de répéter l’expérience dans la vallée du Saint-Laurent; cette fois-ci avec une vision plus large : établir un vaste réseau continental d’alliances commerciales et militaires.

C’est donc à cette occasion que Français et Autochtones procédèrent au premier échange de jeunes hommes pour apprendre leurs langues et leurs coutumes respectives afin d’agir comme interprètes entre les groupes. On remit Étienne Brûlé aux Algonquins et le Wendat Savignon rejoignit les Français. Par la suite, chacun repartit de son côté.

Dans ses efforts de rapprochement avec les sociétés autochtones, Champlain leur confiera au cours de sa carrière plusieurs dizaines de Français afin qu’ils vivent parmi elles. C’est ainsi que Nicolas Marsolais fut envoyé auprès des Innus dans le pays du Saguenay; Jean Nicollet et Jean Richer vécurent parmi les Népissingues à l’est de la baie Georgienne, Étienne Brûlé et Du Vernay travaillèrent avec les Wendats au lac Huron et Olivier Le Tardif fut reçu par des Algonquins de la rivière des Outaouais.

Au-delà des défis d’apprendre de nouvelles langues si dépaysantes, pour établir des alliances et faire la promotion du commerce, ces derniers devaient partager la vie quotidienne de leurs hôtes et souscrire à leur système de valeurs. Telle était la mission de cette poignée de jeunes intrépides qui, du jour au lendemain, souvent seuls, se trouvaient parachutés dans des canots d’écorce, parmi des Autochtones en route vers leurs villages de l’arrière-pays.

Pour s’assurer de dénicher les meilleurs candidats, Champlain allait lui-même à la rencontre des navires français à Québec. Lors d’une seule rencontre, des groupes d’Algonquins acceptèrent de prendre avec eux pas moins de onze Français, chacun confié à son propre tuteur. Pendant ce temps, des jeunes Autochtones s’embarquait pour la France dans le même but. Champlain appelait ces interprètes des "truchements".

Ces jeunes polyglottes jouèrent un rôle d’une importance capitale dans l’accomplissement du grand rêve métissé de Champlain pour la Nouvelle-France. Représentants d’une colonie européenne naissante, ils se grefferont au tissu complexe des relations déjà existantes entre les Premiers Peuples. Habitués à la vie rude en Europe, souvent brutalement traités par leurs supérieurs coloniaux, dans les tribus autochtones, ils seront reçus à titre d’invités d’honneur.

Après la mort de Champlain en 1635, le nombre de ces aventuriers continuera de croître et bientôt, ils seront des centaines à quitter les établissements de la colonie pour aller commercer avec les Premières Nations. C’est d’ailleurs grâce à la présence de ces hommes ainsi qu’aux liens diplomatiques et commerciaux qu’ils sauront tisser avec les peuples autochtones que le roi de France pourra se permettre de revendiquer — devant les autres puissances impériales européennes — son droit d’occuper ce qui deviendra les Pays d’en Haut, cette vaste région sauvage à l’ouest de l’île de Montréal couvrant tout le bassin des Grands Lacs.

À compter de la deuxième moitié du 17e siècle, la vie de ces esprits libres donnera naissance à cette légendaire figure mythique du passé colonial de l’Amérique du Nord : les coureurs de bois canadiens — ces hommes dont l’âme ensauvagée sera marquée par l’ivresse des grands espaces et une passion viscérale pour l’aventure et la liberté.

Source: Le Nouveau Monde oublié : http://marco-wingender.ca/

Crédit d’illustration : Wikimedia Commons

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