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Des voyages périlleux dignes d'exploits prodigieux

L’expansion du commerce des fourrures franco-autochtone vers l’intérieur du continent nord-américain fut un processus historique unique et remarquable.

Dans le monde canadien au temps de la Nouvelle-France, réaliser un voyage de traite du fleuve Saint-Laurent jusqu’aux Grands Lacs et même au-delà relevait d’une certaine normalité pour la gent masculine. Vers la fin du 17e siècle, il est estimé qu’un homme sur deux en avait fait l’expérience au moins une fois.

Cependant, cette donnée peut facilement nous faire oublier l’ampleur de l’exploit d’endurance physique et de résilience que ces voyages constituaient — rien de moins qu’impensable pour l’homme moderne.

Pour ce faire, les coureurs de bois devaient être capable de remonter en canot des distances interminables à la sueur de leur front — plus de 3 000 à 4 000 kilomètres — transportant d’imposantes cargaisons de produis européens : haches, couteaux, miroirs, chaudrons, couvertures, armes à feu, poudre, pipes, ustensiles, bagues, plomb et autres pour obtenir des fourrures autochtones en retour.

Naviguer dans ces conditions signifiait affronter le péril de vagues puissantes, de contre-courants sournois, de souches d’arbres ou de rochers acérés à bord d’embarcations qui pouvaient se renverser ou se déchirer à tout moment. Ici et là, des croix, des inscriptions ou même la toponymie des lieux rappelaient les drames survenus.

Il fallait aussi endurer les portages. Ceux-ci exigeaient de savoir porter de lourdes marchandises — jusqu’à 200 livres à la fois — tenues par une courroie passée sur le front et maintenue au dos par une ceinture, tandis que le canot, renversé, était positionné sur la base du cou. Ces épreuves d’endurance inouïe pouvaient parfois durer des jours.

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L’insécurité était la compagne quotidienne de ces hommes qui s’aventuraient à l’Ouest, alors que les maladies, les accidents, la noyade et la violence demeuraient des menaces constantes. En de tels milieux implacables et parfois hostiles, la fatigue ou le moindre relâchement au mauvais moment pouvait s’avérer fatal.

Il fallait être prêt à toute éventualité. Encombrés de canots lourdement chargés, les coureurs de bois étaient certainement des proies faciles pour des guerriers rivaux.

Pour mitiger les risques, ils se déplaçaient généralement en petits groupes, alors que d’une saison à l’autre, le comportement d’un clan autochtone — même allié — pouvait parfois échapper à toute prévision.

Chaque rencontre exigeait des précautions et à l’approche de visiteurs inconnus, le fusil armé et l’air ferme et assuré étaient souvent la façon la plus sûre de les accueillir.

Ce métier faisait vieillir ces hommes avant le temps et la mortalité était élevée. Malgré tout, au plus fort de ces épreuves, les Canadiens se glorifiaient de cette vie.

Au fil du temps, autour de la course des bois se forgea une culture du "Grand Homme". Pour les plus jeunes ou les novices désireux de l’embrasser, ces voyages — particulièrement ceux qui se prolongeaient au-delà d’un hiver en pays autochtone — agissaient comme un rite de passage, en route vers une virilité accomplie.

Laissons le père Charlevoix, témoin du 18e siècle et historien français, commenter l’admiration qu’il avait pour ces intrépides voyageurs canadiens : "Nos Créoles […] font les choses dans cet esprit qui pourraient difficilement être crues si elles n’étaient pas vues. Les périples qu’ils entreprennent, la fatigue qu’ils subissent, les dangers auxquels ils s’exposent et les efforts qu’ils déploient surpassent toute imagination […] Ils aiment respirer un air libre […] Il est allégué qu’ils font de mauvais serviteurs, ce qui est attribué à un grand esprit de fierté et à un amour qu’ils ont de la liberté."

Cela dit, l’appel de l’Ouest n’était pas seulement celui des fourrures et de l’aventure. Pour bon nombre de coureurs de bois, c’était aussi celui d’une libido qui pouvait s’exprimer parmi des sociétés autochtones ouvertes, accueillantes et libres de toute notion de "péché".

Crédit d’illustration : Arthur Heming

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