
La rencontre du folklore et de la mythologie

Dans le cours de leurs longs voyages en canot, les coureurs de bois avironnaient des heures durant, de l’aube jusqu’au crépuscule. Au fil de leurs journées, ils se plaisaient à entonner des chansons au rythme de la pagaie qui plongeait dans l’eau.
On chantait certes pour briser la monotonie du trajet ou pour oublier la fatigue mais aussi, tel que nous le révèle l’historien Gilles Havard, pour mieux coordonner la cadence des bras, voire de créer un esprit de solidarité au sein de ces petites communautés flottantes de 3 à 18 membres.
Il y avait les chansons "à la rame" au rythme lent pour les canots de larges dimensions, celles "à l’aviron" pour les canots plus légers et les chansons "à lège" ou "express" (sans cargaison), marquées par un rythme très rapide.
La plupart de ces chansons se sont perpétuées jusqu'au milieu du 20e siècle, sinon jusqu'à aujourd'hui, telles que "Nous étions trois capitaines", "À la claire fontaine", "En roulant ma boule", "La Violette dondaine, la violette dondé", "C’est l’aviron qui nous mène", "V’là l’bon vent" et de nombreuses autres.
Ces pièces reflétaient une tradition enracinée dans l'amour romantique de même que celui de la famille. Au milieu des pires tribulations, elles leur rappelaient les liens qui les unissaient à leur parenté et leurs amis de la vallée du Saint-Laurent.
Au sujet des voyageurs canadiens au début du 19e siècle, l’ingénieur et militaire anglais George Thomas Landmann remarqua : "ils chantent des chansons particulières qui sont les mêmes que chantaient auparavant leurs pères, leurs grands-pères, et probablement leurs aïeux".
Ces hommes n’hésitaient pas non plus à agrémenter leurs chants d’hurlements à la manière autochtone. Par exemple, quand ils passaient Lachine, il était coutume de pousser de puissants cris de guerre.
Contes et légendes
Tout au long du parcours, des pauses occasionnelles étaient aussi prises pour fumer la pipe et converser. Ces occasions étaient des moments propices pour les plus habiles conteurs de sortir un récit de leur banque inépuisable et de raconter légendes, histoires, contes d’aventures, accidents, tragédies ou miracles qui décrivaient ou mythologisaient l’univers canado-autochtone du voyage.
Leurs récits traduisaient les dangers des éléments de la nature auxquels ils étaient confrontés, leurs aventures et mésaventures avec les membres des Premières Nations, leurs histoires d’amour, leurs exploits et prouesses, leur expérience de la violence ou tout autre sujet touchant à leur quotidien fascinant.
Un des thèmes les plus répandus du folklore pelletier était d’ailleurs celui de la confrontation avec un ours, tandis que pour donner la frousse aux novices, les plus expérimentés puisaient à même leur répertoire d’histoires de monstres, de loups-garous, de cannibales, de fantômes ou d’autres créatures surnaturelles.
Aussi tard qu’au début du 20e siècle, le Métis du Manitoba Louis Goulet — qui fréquenta aussi bien Louis Riel que le chef sioux Sitting Bull — fut un témoin et un acteur privilégié de cette tradition oratoire ancienne, fruit de la rencontre des univers mythologiques autochtones et canadien.
Il évoqua ainsi à la fin de sa vie : "les Métis ont toujours été friands du mystérieux. Tout comme l’étaient autrefois les vieux Canadiens qui nous arrivaient du Bas-Canada et qui savaient nous bourrer, à cœur de veillée, de leurs histoires de loups-garous, de chasse-galerie et de mille autres peurs semblables".
Déjà tributaires d’un héritage catholique populaire qui faisait place aux forces surnaturelles et aux rites magiques, bon nombre de coureurs de bois canadiens se laisseront aussi imprégnés par le mysticisme autochtone.
Crédit d’illustration : Frances Anne Hopkins