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Les prédispositions Canadiennes aux voyages

Moteur économique de la colonie canadienne de la vallée du Saint-Laurent et essence même de la vie culturelle depuis ses origines, les voyages à l’Ouest pour commercer avec les Premières Nations sollicitaient non seulement tous les groupes sociaux. Ils alimentaient aussi les conversations du quotidien.

Aussi tard qu’au début du 19e siècle, les coureurs de bois jouissaient d’un important prestige au sein de cette société métissée. Héros — aux côtés de leurs complices autochtones — d’un imaginaire collectif marqué par l’ivresse des grands espaces, ces aventuriers ne manquaient pas de nourrir leur légende personnelle auprès des jeunes et moins jeunes, se plaisant à les impressionner par leur mode de vie et leur bravoure, voire leur témérité.

Même pour ceux qui n’avaient jamais réalisé un tel voyage, il leur était impossible d’ignorer les histoires racontées par ces hommes qui avaient parcouru les contrées les plus lointaines. Ainsi, même les non-initiés partageaient indirectement l’expérience du coureur de bois canadien.

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Dès leur petite enfance, les Canadiens baignaient dans les souvenirs des anciens et vibraient à leurs exploits. Lors des longues veillées d’hiver, assis toute ouïe au bord du feu de foyer crépitant, ces jeunes se voyaient captivés et éblouis par leurs récits qu’on ne se gênait pas d’embellir afin d’en mettre plein la vue.

Grandissant au cœur d’un véritable carrefour interculturel, ils recevaient aussi une formation qui les amenait à admirer les coureurs de bois et à vouloir le devenir eux-mêmes un jour. "Dès que les enfants peuvent porter un fusil, les parents ne peuvent plus les retenir", observa l’intendant Jacques-René de Denonville vers la fin du 17e siècle.

Même en bas âge, les garçons pouvaient s’éclipser plusieurs jours pour aller chasser ou s’adonner à de petites expéditions de traite dont l’objectif était d’acquérir quelques peaux d’élan, de la viande ou des raquettes contre des marchandises européennes.

Quant aux adolescents, ils constituaient souvent des bandes laissées à elles-mêmes. En quête de sensations fortes, de bouffonneries, de romance ou d’occasions de prouver leur valeur, ils se rendaient régulièrement dans les villages autochtones voisins des centres coloniaux — notamment les communautés domiciliées wendate (aujourd’hui Wendake), abénakises (Odanak et Wôlinak), iroquoises (Kahnawake, Kanesatake et Akwesasne) et algonquines (jadis Pointe-du-Lac, lac des Deux-Montagnes et la mission de Sainte-Anne-de-Bellevue) — pour se mélanger à leurs habitants. Au moment des fêtes et des carnavals, ils se plaisaient également à s’habiller de leurs costumes et à danser à leurs manières.

Les parents contribuaient aussi à la précocité de leur progéniture en les emmenant avec eux lorsqu’ils allaient surveiller l’arrivée d’un convoi à l’approche de rapides ou d’un passage difficile, moment propice à la réalisation de quelques échanges.

À la bonne occasion, ils pouvaient même encourager le départ de leurs fils pour aller rejoindre un groupe de coureurs de bois ou d’Autochtones se dirigeant vers les Pays d’en Haut (la région à l’ouest de Montréal couvrant le bassin des Grands Lacs). De ces expéditions, un jeune pouvait retirer un pécule appréciable en vue de s’établir sur une terre ou pour mieux subvenir aux besoins de sa famille.

Naviguer en canot d’écorce et savoir le réparer en cas de bris, apprendre à se déplacer et à s’orienter dans de vastes espaces sauvages, se nourrir et savoir se soigner en forêt, l’endurance à la fatigue, les prouesses, avoir hiverné dans les profondeurs de l’arrière-pays, ces faits d’armes revêtaient une grande importance dans la formation de l’identité masculine canadienne.

Au cœur d’une culture du "Grand Homme" s’étant forgée autour de la course des bois, ces voyages agissaient comme un rite de passage pour le jeune Canadien — en route vers une virilité pleinement accomplie.

Crédit d’illustration : Francis Back

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